L comme Libitum !
Vous savez que les partitions s’expriment généralement en italien: piano, forte, con grazia, crescendo, diminuendo, appassionato... Mais il leur arrive aussi d’utiliser des mots ou des expressions en latin, comme opus (« œuvre »), tacet (« il se tait ») ou ad libitum, « comme on veut », « librement », « selon sa fantaisie » - une expression somme toute assez risquée, car qui sait ce qui peut tenter un interprète quand on lui laisse ainsi portée blanche... ?
Imaginez
par exemple un « ad libitum » tombant sous les yeux de Nikolaus
Harnoncourt: en défendant la pratique de la musique ancienne sur
instruments anciens, cet interprète visait moins une illusoire
authenticité historique qu’une nouvelle sensibilité auditive. Ce
qui l’amena à étendre les principes d’exécution baroque à des
répertoires plus récents, Beethoven, Johann Strauss et même George
Gershwin. Je vous laisse apprécier vous-même cette modernité
iconoclaste dans un extrait du Printemps de Vivaldi
interprété par le Concentus Musicus Wien. ?
1’15
Vivaldi, Les Quatre Saisons, « Le
Printemps », extrait du 2ème mouvement revu par Peter
Breiner (Beatles go Baroque, « And I Love Her »). ?
Samson
François a laissé le souvenir d’un interprète privilégié de
Chopin. Mais on sait qu’il était aussi très attiré par des
répertoires en marge de la musique classique, comme les
musiques de film ou le jazz. Alors imaginez un « ad libitum »
sous les doigts de ce pianiste fantasque jouant le troisième
nocturne fortement diésé de l’opus 3 de Chopin au retour d’un
nocturne fortement alcoolisé dans un club de jazz...
Chopin,
Nocturne op.9 n°3 (Si) revu par Rémi Boos ?
Leonard
Bernstein est un musicien américain qui, comme auteur et comme
interprète, n’a jamais rompu avec la judaïté de ses aïeux
ukrainiens: il a composé des symphonies intitulées Jérémie
ou Kaddish, il a dirigé des œuvres de Gershwin, de Bloch,
de Copland, et il a enregistré l’intégralité des symphonies de
Mahler. Dans le troisième mouvement de sa symphonie « Titan »,
Mahler enchaîne le célèbre canon sur « Frère Jacques » à
un passage qu’il invite son interprète à jouer « mit
Parodie », c’est-à-dire en lui laissant une dangereuse liberté
d’exécution...
Mahler, 1ère
Symphonie « Titan », extrait du 3ème mouvement
revu par Uri Caine ?
Quand
il composa La Mer en 1905, Debussy était si imprégné du
japonisme qui sévissait à Paris depuis sa naissance, et qui avait
atteint son pic de popularité dans les années 1890, qu’il
souhaita, pour l’édition de sa Mer, une couverture gravée
d’après la célèbre planche de Hokusai, La Vue derrière les
vagues au large de Kanagawa. Réciproquement c’est l’exemple
de Debussy, qui, entre autres influences, donna aux compositeurs
japonais d’après 1945 l’idée d’explorer les richesses
potentielles de leur musique nationale traditionnelle. Vous pourrez
juger de cette influence réciproque en écoutant un extrait
absolument inédit de La Mer interprétée par
Seiji Ozawa...
Debussy, La Mer,
extrait du 3ème mouvement: « Dialogue du vent et de la
mer » revu par Takemitsu dans Quotation of Dream – Say sea,
take me ! – ?
Extrait du Dictionnaire facétieux de la musique